Le gaz, la nouvelle défaite des palestiniens

–  » Je vais vous dire ce que nous, les juifs, avons contre Moïse: il nous a fait marcher durant quarante ans dans le désert pour nous mener au seul endroit du Moyen-Orient qui soit dépourvu de pétrole ! »

Ainsi plaisantait, un jour, Golda Meir au sujet de la dépendance énergétique israélienne. Elle ignorait que viendrait le gaz.

Jeudi 27 octobre, Israël et le Liban signaient un protocole d’accord sur leur frontière maritime, sous le parrainage des Etats-Unis. L’enjeu, le partage de la gigantesque nappe de gaz découverte au large de la côte orientale de la Méditerranée au terme de négociations indirectes, menées par des représentants des deux pays. L’accord rebat les cartes au Moyen-Orient. On pourrait penser qu’il pourrait faire le lit d’une nouvelle géopolitique et ouvrir de réelles perspectives de développement pour les populations de la région. 

Israël avait déjà entamé l’exploitation de gaz off-shore en 2004. Il couvre aujourd’hui les trois quarts de ses besoins.  Le gisement de Karish, autrefois revendiqué par les Libanais se trouve dorénavant dans la Zone Économique Exclusive (ZEE) israélienne, selon l’expression consacrée par l’accord. Son exploitation entamée aussitôt, hisse l’État hébreux au rang de « puissance gazière ». Un statut qui n’est pas étranger à la réconciliation euro-israélienne après une brouille diplomatique et des relations chaotiques de plus d’une décennie, engendrées par la politique brutaliste de Benyamin Netanyahu sur la question palestinienne.  Pour enterrer la brouille, le Conseil d’association UE-Israël a tenu sa réunion annuelle à Bruxelles pour la première fois depuis dix (10) ans, pour « corriger une erreur historique » a commenté Yaïr Lapid, le nouveau Premier ministre israélien.

Côté libanais, Michel Aoun, le président sur le départ, s’est empressé de twitter que « L’accord délimitant la frontière maritime avec Israël est purement technique et n’a aucune dimension politique ». La manne gazière semble avoir largement contribué à calmer les ardeurs guerrières du Hezbollah qui évoque une « très grande victoire pour le Liban » et annonce mettre un terme à ses mesures militaires contre l’État hébreux. Son secrétaire général a cru bon préciser que « Le président Michel Aoun n’a pas signé un traité international. Il ne s’agit donc pas d’une reconnaissance d’Israël ». 

Même s’il ne s’agit pas d’un traité de paix entre les deux voisins qui demeurent en état de guerre, Tel-Aviv renforce la position stratégique qu’il joue dans la région, depuis la conclusion des Accords d’Abraham avec les Emirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc. En apportant la prospérité aux peuples de la région, le gaz pourrait bien contribuer à apaiser l’état de belligérance entre les deux capitales et remettre au goût du jour un processus pour une paix durable au Moyen-Orient.  

Pour l’Europe, et plus particulièrement celle du sud, France, Espagne, Portugal, Italie entre autres, le champ gazier israélien pourrait, à moyen terme, supplanter partiellement le gaz russe. A plus long terme, en raison du retard pris par le Liban dans la mise en place de ses propres plateformes et l’exploitation du Champ de Cana qu’il partage avec Israël, les livraisons combinées des deux pays pourraient affranchir définitivement le vieux continent de cette dépendance qui s’est cruellement fait sentir à l’aune de la guerre russo-ukrainienne. 

Le Liban est frappé depuis 2019 par une crise économique sans précédent. 80% de sa population qui vit sous le seuil de pauvreté a désormais plongé dans l’insécurité alimentaire depuis le déclenchement des hostilités en Ukraine d’où le pays importe le plus gros de son blé.  A Beyrouth, en l’absence de moyens financiers, le quartier du port ressemble encore à une zone de guerre, après la terrible explosion du 20 août 2020.  Les manifestations de 2019-2021 inspirées de celles du Hirak algérien ont impressionné et marqué les esprits par leur ampleur et la violence des qualificatifs à l’endroit des dirigeants politiques. Dans ce pays où un enfant un sur trois se couche après avoir sauté un repas, on comprend un peu mieux que la sinistrose ait désormais fait place à un frémissement d’euphorie et à de légitimes espoirs en des lendemains meilleurs, même si la perspective d’une amélioration n’est pas pour tout de suite. En effet, les forages définitifs et les analyses ne sont prévus qu’à l’automne 2023. L’extraction et l’exploitation pour 2028.  Mais au pays du cèdre, il faut toujours tempérer ses ardeurs en raison de la corruption endémique des gouvernants. Elle suscite la crainte de voir le gaz exacerber les appétits au point de voir détourner ses revenus, privant le pays du développement qu’il est en droit d’espérer. 

Jamais le gaz n’a autant été « à la mode ». Le précieux carburant évite à Moscou « l’effondrement de l’économie russe » prédit par Bruno Le Maire, le 1° mars 2022, après la mise en place des sanctions par les puissances occidentales. Il a fait du minuscule Qatar le géant que l’on sait, de la chine le pays à la croissance la plus rapide au monde, de l’Allemagne, la locomotive de l’économie européenne. Mais il suscite aussi la convoitise de dirigeants corrompus et la cupidité d’oligarques prédateurs. Les trajets de ses pipe-lines provoquent d’épouvantables conflits et d’indescriptibles tragédies qui emportent la vie de centaines de milliers d’innocents. Enfin, le gaz soude également les alliances les plus improbables et fait malheureusement oublier les souffrances des peuples. 

Au Moyen-Orient, Israël qui est en proie, comme jamais, à de vives critiques internationales en raison de sa politique annexionniste et de ses exactions contre la population palestinienne, reprend la main. « L’accord ZEE » renforce sa position de partenaire économique de l’Union européenne et plus que jamais d’allié stratégique de l’occident. A contrario, l’accord affaiblit sérieusement la cause palestinienne. En fait,  chaque accord que conclut Israël avec l’un de ses voisins tient un peu plus à distance le processus de paix et signe le désastre d’une nouvelle défaite pour les palestiniens.  Par la grâce du gaz, même le Hezbollah a remisé au placard sa proverbiale hostilité envers son ennemi mortel. 

Les accords d’Abraham avaient déjà vaincu les palestiniens. Le gaz vient de leur asséner le coup de grâce, les condamnant pour longtemps encore, à l’étreinte d’une occupation qui ressemble à l’Apartheid et que n’hésitent plus à dénoncer ouvertement juifs de l’intérieur et de la diaspora. Le centre israélien d’information pour les Droits humains,  B’Tshelem titre en première page de son site « Not a vibrant democracy, this is Apartheid ». La colonisation ne s’est jamais aussi bien portée que depuis le processus de la normalisation. Les exactions des colons, les arrestations, les emprisonnements, les démolitions de maisons, les bastonnades et les condamnations pleuvent comme jamais sur les habitants de la Cisjordanie. Le tout ponctué d’assassinats et d’exécutions extra-judiciaires qui touchent pour la plupart des jeunes gens, en âge de procréer, ce qui fait passer l’ensemble pour un nettoyage ethnique qui ne dit pas son nom. 

A Gaza, depuis le début de l’année, trente-sept (37) enfants palestiniens ont été tués par les bombardements dont dix-sept (17) entre le 5 et le 7 août 2022, poussant Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies à déclarer :

– « Infliger des blessures à un enfant au cours d’un conflit est profondément troublant, et tuer et mutiler tant d’enfants cette année est inadmissible »,

En 2000, Yasser Arafat avait exprimé sa plus grande joie à la découverte du champ off-shore, au large de Gaza. Il avait qualifié ses quarante (40) milliards de mètres cube de « Don de Dieu à notre pays ». Vingt ans plus tard, les deux millions d’habitants de la bande de Gaza sont les reclus d’un immense camp de concentration à ciel ouvert, coupés de leur famille et à un jet de pierre du gaz. Pourtant, le 1° octobre 1943, Golda Meir avait prononcé ces mots à La Tribune du parlement européen :

– « S’il existe bien une famille des nations, chaque membre de cette famille a le droit de vivre, d’exister, de circuler librement dans le monde entier et de recevoir qui bon lui semble.»

Abonnés aux coupures d’électricité, les palestiniens n’ont pas encore bénéficié du don divin cité par le défunt Raïs. Le blocus impitoyable mené par la marine israélienne depuis 2007, réduit également les frontières maritimes palestiniennes à six miles nautiques, rendant l’exploration de Gaza Marine situé à vingt-deux miles, impossible. La Palestine se voit ainsi privée de plus de deux milliards de dollars de royalties. Sans oublier qu’une centrale au gaz résoudrait les problèmes d’électricité́ de Gaza et l’affranchirait du paiement de plus de cinq cents millions de dollars annuels d’achats de fioul israélien. 

En Israël, la découverte d’un champ gazier au large de Gaza, avait suscité l’inquiétude de voir l’État palestinien renforcé par ses revenus. Faux semblant ou réelle préoccupation, à Tel-Aviv on n’hésite pas à argumenter que les « Gazodollars » pourraient tout aussi bien servir au développement de la Palestine qu’à financer des opérations terroristes contre Israël. Un prétexte pour justifier le maintien du blocus de la bande de Gaza où règne sans conteste l’ennemi du Fatah, le Hamas, opposé à tout forage.  Moshé Ya’alon s’était exprimé à ce sujet, peu avant « l’opération plomb fondu » du 27 décembre 2008 :

– « Sans une opération militaire pour chasser le Hamas de Gaza, aucun forage ne pourra débuter sans l’accord du mouvement islamiste radical »

L’officier israélien venait de lier clairement l’opération militaire à une tentative de chasser le Hamas de Gaza pour la sécurité des forages. L’attaque coûta la vie à mille quatre cents palestiniens dont sept cent soixante-treize civils, sans toutefois parvenir à atteindre le but qu’elle s’était fixée d’évincer le mouvement islamiste.

Si le gaz fait la richesse, il est aussi vecteur de bien des tragédies. L’histoire de la Palestine en est une. Si les accords d’Abraham avaient vaincu les palestiniens, l’accord ZEE bouleverse la géopolitique au profit d’Israël qui en sort, renforcé dans son intransigeance sur la question palestinienne et celle des territoires occupés.  Le 16 août 2020, à l’issue de l’accord de normalisation avec les Emirats Arabes Unis, Benyamine Netanyahu qui ne jure que par l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie occupée, déclarait avoir mis fin à « La paix contre les territoires ».  Les centaines de milliards de mètres cubes de gaz off-shore pourraient bien avoir planté le dernier clou au cercueil de ce processus. Et ce n’est pas un Yaïr Lapid qui pourrait le ressusciter. 

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