« Le colis refusé » ou la Marraine et le tyran

Marie-Jo FRESSARD

L’acharnement dont fait l’objet Omar Radi, son déménagement de la prison casablancaise d’Oukacha, son transfert à la prison de Tiflet, la confiscation de ses livres, l’arrachement des pages de ses écrits n’auront étonné personne. N’importe quel  prisonnier passé par les geôles marocaines vous le dira,  qu’il soit de droit commun ou politique. Avec toutefois un  distinguo pour la seconde catégorie : une fois aux mains de l’administration pénitentiaire,  les prisonniers continuent de subir les assiduités entamées par les policiers lors des interrogatoires. Brimades, insultes, menaces, bastonnades, viols, chantages, punitions, privations se succèdent avec en corollaire, un conditionnement de leurs droits les plus élémentaires à leur  assujettissement, à leur contrition et à leur adoption d’un profil le plus bas possible. Environ trois cents détenus politiques  croupissent actuellement dans les prisons marocaines en raison de leurs opinions, de leur dénonciation du système politique marocain ou comme Omar Radi, Souleiman Raissouni et Taoufik Bouachrine, de simples journalistes en raison de leur plume sans concession.

Vingt ans de prison pour avoir réclamé des hôpitaux

Les peines les plus lourdes ont été infligées aux militants du Hirak Rifain, pour « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État« , un chef d’accusation passible selon les textes de la peine de mort: Nasser Zefzafi, Nabil Ahamjiq, Ouassim Boustati et Samir Ighid, condamnés à vingt (20) ans de prison ferme, Mohamed Jelloul, Omar Bouhras, Achraf El Yakhloufi, Karim Amghar, condamnés à dix (10) ans, Mohamed Haki, Zakaria Adehchour et Mahmoud Bouhenoud quinze (15) , sept (7) et dix (10)  ans de prison, Mohamed Asrihi et Rabie El Ablak condamnés à cinq (5) ans de prison. Les militants rifains avaient osé manifester pour réclamer la fin de l’ostracisme de leur région et la construction d’écoles, de facultés, d’hôpitaux et des emplois…..

La dernière victime en date de la répression, Saïda El Alami, activiste a été condamnée à deux (2) ans d’incarcération pour ses posts sur les réseaux sociaux. Une condamnation faisant suite à celle de Rabie El Ablaq,  militant rifain, condamné à quatre (4) ans de prison pour « offense » à la personne du roi.

Dans une lettre ouverte au ministre de la justice du Maroc datée de février 2018 et intitulée « Le colis refusé », la militante des droits de l’homme,  Marie-Jo Fressard dont on se souvient qu’elle est la “marraine” du prisonnier sahraoui Salek Laasairi, avait dénoncé la répression insupportable pratiquée par la direction de la prison d’Aït Melloul à l’endroit du détenu.

Le ministre de la justice de l’époque s’appelait alors Mohamed Aujjar. Membre du bureau politique du Rassemblement National des Indépendants (RNI), l’homme avait occupé auparavant les postes de ministre délégué aux Droits de l’homme puis de ministre chargé des Droits de l’Homme. Nul n’ignore l’inutilité des ministères, des organismes et des conseils des droits de l’homme au Maroc. Nommés par le palais, ils ne sont en effet, que des canisses  dissimulant bien maladroitement l’absence de droits en question quand ils ne servent pas de faire-valoir ou de porte-voix au régime pour la  justification de ses  atteintes aux droits élémentaires des citoyens. Marie-Jo Fressard n’ignorait donc pas qu’elle s’adressait par ricochet à Mohammed VI, seul habilité à prendre quelque disposition en faveur du prisonnier et dont la tyrannie n’a cessé de croître depuis son accession au pouvoir en 1999.

Quatre ans après, la lettre ouverte reste d’une cruelle actualité. Pour l’histoire, je la reprends car elle illustre à merveille le propos et décrit un condensé des ignominies que le régime de Mohammed VI est capable d’infliger, par vengeance et par lâcheté, à des femmes et des hommes en situation de faiblesse absolue puisque détenus et dans l’impossibilité de se défendre contre une administration omnipotente, couverte par le parapluie du Makhzen. 

Le colis refusé

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Directeur,

Il y a trois ans, l’association Amis du Peuple du Sahara Occidental m’a proposé de devenir “marraine” du prisonnier sahraoui Salek Laasairi. J’ai alors appris qu’en 2015 il a été condamné à réclusion perpétuelle par jugement rendu à la cour militaire, pour un crime qu’il nie toujours avoir commis. Il avait alors 21 ans. Depuis il est transféré de prison en prison. Il est actuellement à la prison locale d’Aït-Melloul, avec le numéro d’écrou 7533.

Il n’est pas dans mon propos de critiquer ni d’approuver cette décision de justice, n’ayant jamais eu connaissance de la moindre preuve concernant ce crime.

Mais je veux vous faire part de mon indignation chaque fois que j’apprends que Salek est victime d’atteintes à sa sécurité et son intégrité physique, les tabassages fréquents pouvant aller jusqu’à la torture, le viol, l’horreur de l’abject cachot, mais aussi le saccage ou le vol de ses affaires personnelles, téléphone, contenu de colis reçus, de même que le mépris, la discrimination, les insultes raciales. Salek ne se plaint jamais de quoi que ce soit lorsque nous arrivons à nous téléphoner. Au contraire il me dit  “Moi, tout va bien, ma famille aussi” avant de me demander des nouvelles des uns et des autres. C’est par des associations des droits de l’homme que je suis informée. Les gardiens se montrent particulièrement odieux à son égard parce qu’il est Sahraoui.

Mais comme si ces agressions au quotidien ne suffisaient pas, le personnel pénitentiaire veille à évacuer tout ce qui pourrait apporter à Salek la moindre satisfaction, la moindre parcelle de bonheur, comme son tour au téléphone une fois par semaine à la cabine de la prison, avec sa famille qu’il aime par-dessus tout, et avec ses amis. Un moment heureux qui lui fait un peu oublier l’univers carcéral. Mais ce moment est de plus en plus court, voire réduit à quelques secondes, ou même supprimé.

Et s’il proteste il est roué de coups avant d’être jeté au cachot, endroit infect avec la seule compagnie des rats. Des séjours d’isolement qui peuvent durer plusieurs semaines. Il est même arrivé qu’il y soit enfermé jusqu’à un mois et demi. Pour protester il refuse parfois toute nourriture.

Autre petit bonheur qu’il attend avec impatience : les colis que lui envoient à tour de rôle un groupe d’amis. Colis au modeste contenu : vêtements achetés aux fripes, vieux magazines, livres en langue anglaise selon son désir, petits objets sans valeur marchande… Nous savons par expérience que tout objet ayant un petit coût ne lui parvient pas. Chocolat et autres douceurs sont interdits.

Le 29 novembre je lui ai envoyé un de ces colis de pauvre tant attendu. Quelques semaines plus tard il m’est retourné. J’y vois la mention : “admis en franchise douanière”, et aussi écrit à la main : “refusé réception, le 7/12/2017”. Aucun motif de retour n’a été coché (NPAI, Non réclamé, FD, Refusé, Réexpédié, Adresse incomplète).

L’adresse est celle que j’utilise à chaque envoi, sans qu’il n’y ait eu aucun retour. Le colis n’a pas été ouvert. C’est donc la prison qui a refusé à Salek ce petit bout de plaisir ! Le 2 janvier je l’ai renvoyé.

L’ignoble avait déjà été atteint lorsque la mère, la sœur et le frère malade de Salek ont voulu lui rendre visite. Ils avaient économisé pour pouvoir payer ce voyage de 400 kilomètres. Mais non seulement ils ont dû attendre toute la journée sans avoir pu le rencontrer, mais par sadisme, pour les humilier, Trois gardiennes ont obligé sans ménagement sa mère et sa sœur à se mettre totalement nues, pour des fouilles allant jusqu’à l’exploration vaginale manuelle, avec crachats et insultes à caractère racial. Cette fouille s’est déroulée devant des gardiens hommes qui ont pris des photos, et des visiteurs (Emsarah.com, 15/1/2016). La ligue pour la protection des prisonniers sahraouis a dénoncé fortement ce harcèlement subi par la famille Laasairi, le considérant comme un acte raciste à l’opposé des affirmations de progrès démocratiques proclamées haut et fort par les autorités marocaines.

Monsieur le Ministre de la Justice et des Libertés,

Monsieur le Directeur de la prison locale d’Aït-Melloul,

Je ne décèle ni souci de “justice”, ni espoir de “liberté” dans le cauchemar que vit mon ami Salek. Je m’associe à la peine et à la colère des familles des prisonniers détenus sans aucune humanité, sans aucun respect des conventions internationales. Le but de l’emprisonnement ne devrait-il pas être la réinsertion (mention qui fait partie de votre titre), le retour à une vie citoyenne normale, et non la mort à petit feu… ?

Pour Salek, les prisonniers et leurs familles je vous demande, Monsieur le Ministre, Monsieur le Directeur, de donner des ordres au personnel de la prison locale d’Aït-Melloul et des autres prisons du royaume que soient respectés le droit de visites, le droit de téléphoner à ses proches et le droit de recevoir des colis avec l’intégralité de leur contenu.

D’avance et pour eux, je vous remercie,

Marie-José Fressard

Solidarité Maroc 05 05000

Gap France

8/1/2018

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