Maroc-Algérie, l’impossible guerre des tracés régulateurs

Les tensions entre le Maroc et l’Algérie se sont singulièrement déplacées du champ géopolitique, diplomatique et militaire au plan sportif, après un passage par la case gastronomie et la mémorable passe d’armes entre les deux voisins à propos de la labellisation du couscous, le plat traditionnel commun à l’Afrique du Nord.

C’est Mehdi Bensaid, le même ministre de la culture qui ambitionnait d’inscrire le couscous marocain au patrimoine immatériel de l’Unesco qui s’en prend aujourd’hui à Adidas reprochant à l’équipementier d’avoir plagié l’art du zellige « marocain » pour en sérigraphier le nouveau maillot des Fennecs,  la sélection nationale algérienne de football. Le motif revendiqué par le ministre reprend les immémoriaux tracés régulateurs qui ornent ou qui ont orné mosquées, palais, édifices publics et lieux saints de l’Islam de l’Andalousie et des pays du Maghreb.

La mise en demeure adressée au CEO d’Adidas, Kasper Rorsted dénonce « une appropriation culturelle et une tentative de voler du patrimoine culturel marocain pour l’utiliser en dehors de son contexte ». Le ministère a donc exigé le retrait sous quinzaine, de la collection en question.

Au micro de l’Agence France Presse on argumente qu’« il s’agit d’un vol de motifs inspirés du zellige marocain qui figurent sur des maillots de sport pour l’Algérie ce qui a poussé le ministère à agir en urgence. »

Auparavant, le 23 septembre, Adidas avait présenté sur Twitter, une photo du kit pour la saison 2022/2023 « inspiré par la culture et l’histoire ». Un nouveau design qui, selon l’équipementier sportif tire son inspiration du Palais El Mechouar à Tlemcen, dans le nord-ouest de l’Algérie

Les procès perdus du Makhzen

Une confrontation judiciaire contre l’équipementier engagerait également, par ricochet,  le voisin algérien et contribuerait à entretenir le climat « de veillée d’armes » qui règne entre les deux capitales depuis plusieurs années. Pour un moment, au Maroc dont les citoyens s’interrogent sur le véritable centre du pouvoir, on pense ainsi faire oublier aux marocains leurs préoccupations immédiates :  la présence aux commandes du gouvernement d’un premier ministre contesté par la rue, la corruption endémique, le pillage des richesses du pays, la misère économique, les hausses des prix, la disparition du chef de l’état, la répression contre les militants des droits humains, l’emprisonnement des journalistes et tout le reste………

Rabat  n’en serait pas à son coup d’essai en matière de procès risqués. Il faut rappeler quelques procès perdus par le régime, en nom propre, ou par proxys interposés :

  • Le 20 février 2008, la cour d’appel de Madrid déboutait la MAP de sa plainte contre Ali Lmrabet pour son article dans  El Mundo  accusant l’agence de presse d’abriter « une armée de mouchards »
  • Le 23 juin 2009, le tribunal d’Alméria en Andalousie condamnait la MAP ainsi que son chef du bureau, Saïd Ida Hassan, à une amende de 12 000 euros pour « diffamation » et « atteinte à l’honneur » du journaliste Ali Lmrabet. Saïd Ida Hassan avait injurié Lmrabet au cours d’une conférence à Alméria et l’avait accusé d’avoir écrit dans un journal espagnol que « tous les Marocains résidant en Espagne étaient des terroristes ».
  • Le 12 juin 2015, la justice française déboutait Mounir Majidi dans le  procès intenté contre  Ahmed Benchemsi, journaliste marocain et ancien directeur de publication de Telquel pour diffamation .
  • Le 9 novembre 2015, La justice espagnole rejetait la plainte déposée par le patron de presse Ahmed Charaï, contre le journaliste espagnol Ignacio Cembrero ainsi que son employeur, le quotidien El Mundo. Charaï avait déposé plainte contre les allégations du journaliste espagnol qui l’accusait de proximité avec les services secrets marocains.
  • Le 10 mai 2019, la Cour de cassation, plus haute juridiction française, déboutait le Maroc de sa plainte en France pour diffamation contre l’ancien boxeur, Zakaria Moumni, qui accusait les autorités marocaines de torture. Une décision qui fera désormais jurisprudence pour débouter les États étrangers requérants dès le stade de la plainte ou de la saisine d’un juge.
  • Le 16 août 2019, la cour d’appel américaine confirmait la décision du tribunal fédéral du district occidental du Texas refusant d’entériner la condamnation d’un tribunal marocain contre le philanthrope américain John Paul DeJoria dans l’affaire du pétrole de Talsint.
  • Le 2 décembre 2020, L’ex-capitaine Mustapha Adib, remportait son énième procès intenté par le général Bennani pour diffamation.

Les jours prochains diront si le Maroc devait s’enfoncer dans la boue d’un procès à l’issue plus qu’incertaine,  nul n’ayant jamais breveté les motifs en question ni ne  se les est appropriés juridiquement. Ces derniers remontent au Moyen-âge et sont donc, par définition, un patrimoine de l’humanité.

L’art des zelliges remonte, en effet, à la nuit des temps, lorsqu’en terre d’Islam, les tracés régulateurs avaient annulé et remplacé les portraits du vivant. Parmi ces tracés on retrouve précisément la trame dite « damasquite », résultat d’un maillage de verticales, d’horizontales et d’obliques dans tous les arts et métiers des sociétés musulmanes (géométrie, architecture, maçonnerie, plâtrerie, plafonds, vitrerie, ferronnerie, tissus, rideaux, bijouterie, verroterie, vaisselle…..) de l’Atlantique au fin fond de l’Ouzbékistan. Tout au plus, nos artisans sous la férule des décorateurs fortement inspirés par le précurseur, André Paccard, architecte au service de Hassan II, apportèrent quelques touches de couleur supplémentaires, comme par exemple dans le logo de la chaîne de télévision 2M.

Le ministère de l’inculture

Enfin, au ministère, où l’on manque cruellement de culture et d’histoire, il fallait se souvenir que l’Algérie et le Maroc partagent de larges pans d’histoire commune et de territoires confondus,  avant que le colonialisme ottoman puis français provoque la césure et les frontières que l’on sait.

A Tlemcen, et comme le souligne précisément le tweet du CEO d’Adidas, le palais El Mechouar dont le nom rappelle étrangement celui donné au palais royal de Rabat a été construit par les sultans Zianides en 1248. La citadelle tout comme d’autres édifices construits au fils des siècles, comporte les mêmes motifs que ceux revendiqués par le ministre marocain de la culture.

En Andalousie, le meilleur exemple de l’architecture mauresque se trouve à l’Alhambra et sa cour des Lions et ses salles luxueuses sont constellées de zelliges, de stucs et de boiseries engendrés par les tracés régulateurs.
Enfin, plus prosaïquement, bien des marques se sont emparées du célèbre motif pour en décorer leur emballage ou leurs produits comme les magasins Ikea avec les crédences de leurs cuisines préfabriquées ou encore une marque de bière espagnole. Le Maroc compte-t-il poursuivre tous ces industriels ?

Fort heureusement pour notre ministre de l’inculture, le ridicule ne tue pas. Il vous met seulement la honte comme disent nos beurs. Mais il y a longtemps que les incompétents qui squattent les officines et les portefeuilles du Makhzen honni n’ont plus honte de rien !

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