Les accords Abraham ou l’épiphanie de la trahison

Le 24 novembre 2021, à l’issue d’une visite fortement médiatisée à Rabat, Benny Gantz, ministre israélien de la Défense concluait avec Abdellatif Loudiyi, ministre chargé de l’administration de la Défense nationale marocaine, un accord sécuritaire prévoyant des échanges d’expériences et d’expertise, des transferts de technologies et de la coopération dans les domaines de la défense et de la cyber-sécurité. En un mot, Rabat collabore dorénavant, de manière officielle, militairement et stratégiquement avec Israël. Une initiative qui fait suite à la reconnaissance par Donald Trump de la marocanité du Sahara occidental en échange de la normalisation des relations entre Israël et le Maroc. Rabat et Tel-Aviv s’étaient déjà essayés à des relations diplomatiques en 1994 écourtées en 2000 après la seconde Intifada.

Alger à portée de l’Axe Rabat-Tel-Aviv

Il y a peu ou prou d’exemples, dans l’histoire moderne, où de tels accords entre pays éloignés géostratégiquement et/ou politiquement aient connu une suite vertueuse ou une fin heureuse. Ils ont le plus souvent été les prémisses de conflits, initiés, encouragés et soutenus par le suzerain. On se souvient de l’ANZUS qui entraîna l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans la guerre menée par les USA en Corée, au Vietnam pour contrer le communisme et en Afghanistan et en Irak pour contrer Al-Qaïda. Plus près de nous, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) mène depuis 2015 une guerre meurtrière contre les rebelles Houthis et dont les atrocités n’épargnent pas les populations civiles. Un conflit auquel a pris part, pour un temps, le Maroc.

Si l’accord en question n’est pas tout-à-fait un axe militaire, stricto sensu, il en prend néanmoins le chemin, si l’on tient compte du fait que l’Etat hébreux a pris le pli de contrer toute initiative susceptible de conforter diplomatiquement ou stratégiquement l’Iran, à travers le monde. Or, après une brouille passagère,  en raison du soutien iranien au GIA, lors de la guerre civile algérienne, Alger et Téhéran entretiennent depuis les années 2000, d’excellentes relations aux niveaux culturel et économique et adoptent des points de vue similaires sur bien des questions politiques. Israël a déjà avancé ses pions partout où il pouvait contrer l’influence iranienne: Arabie saoudite, Jordanie, Emirats arabes Unis, Egypte, Bahrein, Soudan. L’accord avec le Maroc en est donc un jalon supplémentaire. D’autant que le  Memorandum of Understanding conclu à grand fracas médiatique, ce 24 novembre et sa panoplie de mesures ressemblent à une tentative d’intimidation du voisin algérien qui fait dire aux observateurs avertis que Rabat se rend coupable, de bien plus qu’une simple provocation, mais d’un véritable casus belli à l’endroit de l’Algérie qui s’éprouve désormais à portée directe d’Israël, considéré comme l’ennemi.

L’impasse                                                                                              

Peu chaut à Mohammed VI qu’il soit le président du Comité Al-Quds et qu’à ce titre, il soit le porte-drapeau de la cause palestinienne. Peu lui importe de trahir ses engagements envers le peuple palestinien ou que les Marocains soient, dans leur écrasante majorité, opposés à toute normalisation avec l’État hébreu qui parle de paix mais continue de confisquer les terres, d’y implanter des colonies,  de réprimer les palestiniens et d’appuyer les colons qui s’en prennent à eux.

En outre, la diplomatie marocaine est de nouveau dans l’impasse dans l’affaire du Sahara. Les bruits de bottes ont repris de plus belle depuis le fameux Tweet de Donald Trump du 10 décembre 2020, reconnaissant la marocanité du Sahara et son tweet suivant, annonçant l’établissement de relations diplomatiques entre Rabat et Tel-Aviv. Les mâchoires se sont crispées. Le ton des communiqués s’est durci de part et d’autre de la frontière algéro-marocaine. La course aux armements qui s’est accélérée au cours des derniers mois, confine à l’absurde pour deux pays dont la population souffre cruellement des maux du sous-développement.

De son côté, le Polisario a repris ses violentes diatribes contre le royaume, menaçant de reprendre les armes. Mohammed VI appréhende à sa juste valeur, la menace que lui ferait courir un embrasement dans la région. Il pourrait y perdre le Sahara, son fonds de commerce avant d’y laisser son trône.

Enfin la situation intérieure n’est guère meilleure. La misère, le chômage, l’injustice, la répression des libertés et l’affairisme du roi et de son entourage poussent ceux qui ne peuvent fuir le pays, à prendre la rue, les stades, les écoles, les universités et tous les espaces publics qu’ils peuvent, pour y exprimer une colère grandissante. A tout cela s’ajoute le mécontentement de l’opinion publique suscité par la normalisation. Le roi est désormais affublé du sobriquet de « Normalisateur » (Al Moutabbii). Un euphémisme qui, dans la bouche des Marocains, confine à l’invective, parce qu’il fait clairement allusion à la trahison de la cause palestinienne et à la mise en péril de l’équilibre dans la région.

Les marocains n’hésitent pas à rappeler d’où vient le roi et d’où lui vient cette propension à faire appel à un sauveur dès lors qu’il s’éprouve acculé, comme ses ascendants lorsqu’ils sentaient gronder le vent de la révolte :

Abdelaziz Ben Hassan fit  appel à la France en  1903, afin de mater la révolte de plusieurs tribus, avant de signer  en juillet 1906, le  traité d’Algésiras consacrant l’occupation du Maroc par des troupes étrangères et partageant le territoire en zones d’influences entre la France et l’Espagne.

Août 1907, Hafid Ben Hassan , destituait son frère Abdelaziz avant de se retrouver, à son tour,  assiégé en 1911 par les tribus rebelles. Il fit alors appel aux troupes françaises qui le délivrèrent. Il conclut alors le traité du protectorat français sur le Maroc le 30 mars 1912. Les photos jaunies de l’époque montrent le sultan au guidon d’un vélo offert par le colonisateur. Facétieux, les marocains entretiennent volontiers la rumeur malicieuse que l’homme aurait vendu son pays pour une bicyclette.

Le 14 juillet 1926, Youssef Ben Hassan  qui avait également appelé l’armée française à son secours, fêtait la victoire franco-espagnole sur  le Rif, sous l’Arc de triomphe, aux côtés du maréchal Philippe Pétain, et du dictateur Primo de Rivera.  

Mohammed V avait délégué au prince héritier la répression féroce de la révolte du Rif et avait fini par se retourner contre tous ceux qui avaient lutté pour son retour d’exil et l’indépendance du Maroc: communistes, ALM et socialistes.

Hassan II avait puisé dans le même catalogue. Tout juste avait-il fait preuve de subtilité et de discrétion dans son entreprise. Le despote avait même innové en nouant des  relations discrètes mais soutenues avec les israéliens. Des liens qui ne se sont jamais distendus jusqu’à aujourd’hui et qui consistent principalement en échanges de bons procédés entre services de sécurité des deux pays, comme l’affaire Ben Barka, l’opposant de Hassan II, enlevé et assassiné à Paris avec la complicité du Mossad. Un rendu pour un prêté. Le monarque avait, en effet, veillé personnellement à  l’enregistrement, en septembre 1965, pour le compte du Mossad et du Shin Beth, des discussions entre les chefs d’états arabes réunis à l’hôtel Casablanca, pour y mettre au point une stratégie de guerre contre Israël. Les débats houleux avaient mis en évidence les divisions arabes et les faiblesses de leurs armées. Un constat qui permit aux israéliens de mener leur guerre éclair victorieuse en juin 1967. Hassan II, dont le pays était officiellement en guerre contre Israël,  venait de se rendre coupable de haute trahison et d’intelligence avec l’ennemi. Le despote avait, au passage, sévèrement égratigné le sacro-saint devoir d’hospitalité marocain dû aux invités. Plus tard, les israéliens mettront leur savoir-faire au service du Maroc pour la construction du mur du Sahara, une réplique de la ligne Bar-Lev, afin de mettre fin aux incursions du Polisario. 

L’épiphanie de la trahison

Après avoir joué un double jeu durant deux décennies, Mohammed VI vient de jeter le masque, comme ses comparses avant lui et de renoncer à la dissimulation de ses relations coupables avec les assassins de la cause palestinienne. La trahison est ainsi faite qu’elle contraint immanquablement son auteur à une interminable fuite en avant et une surenchère dans l’infamie. On ne peut en effet, acquérir des logiciels pour espionner ses citoyens, des armes de guerre pour épouvanter son voisin, du matériel répressif pour terroriser ses compatriotes et du savoir-faire policier pour réprimer ses opposants et avancer masqué. Pour mieux vendre leur forfait à leur population, les chefs arabes impliqués, tous despotes avérés et affairistes compulsifs, ont enjolivé les accords du nom d’Abraham. De là où il est, le vieux patriarche aura probablement très peu goûté qu’on associe son nom à la supercherie du siècle consistant à vendre son honneur et la cause d’un peuple pour un peu de sécurité. L’honneur vendu ne se rachète pas. Il meurt à tout jamais, la sécurité avec, au contraire des causes justes. Elles sont éternelles.

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